Salut à Steve Albini, intransigeant sculpteur d’un son brutal (Pixies, Nirvana, PJ Harvey) (2024)

«Cactus», des Pixies en 1988, un titre extrait de leur premier album à part entière, Surfer Rosa. «Fais-toi saigner les mains sur un cactus, frotte-les sur ta robe et envoie-la moi», disaient les paroles. Un chant haut et étranglé, et surtout, vous l’avez senti, le son d’une espèce de machine primitive, qui semble vous écraser de sa puissance préhistorique. Un son qui a captivé, dans ces années-là, toute une génération de musiciens de rock alternatif et d’auditeurs en général, rétifs aux sons populaires du moment. Parmi cette foule d’inconnus ou d’anonymes, on pouvait compter David Bowie. Il a été tellement fasciné par les Pixies et cet album, leur son et leur sourde puissance qu’il a tenu à reprendre cette chanson, «Cactus», dans un de ses albums du début des années 90. Un son qui n’aurait pas existé sans celui qui l’a capté, enregistré dans un studio de Boston, la ville où les Pixies étaient nés. Steve Albini, un ingénieur du son qui refusait qu’on emploie, pour définir son rôle, le terme de «producer», de réalisateur artistique. Il se considérait, non sans provocation, comme, je cite, un plombier et réclamait d’être payé comme tel, ni plus ni moins. Il se présentait d’ailleurs toujours dans son studio en bleu de travail.

On vient d’apprendre la mort brutale de Steve Albini à l’âge de soixante et un ans, des suites d’une crise cardiaque survenue dans le studio d’enregistrement même où il travaillait sans répit, Electrical Audio. Et c’est un vrai choc. Dans la communauté des musiciens qui l’avaient côtoyé comme dans celle des simples amateurs, particulièrement en France. En septembre dernier, Albini avait accueilli dans son studio un groupe occitan, CXK, et le guitariste aveyronnais Paulin Courtial, avait eu l’occasion, j’ai appris ça dans un article de La Dépêche, d’apprécier sa simplicité, sa curiosité et son enthousiasme. Albini lui a posé plein de questions sur la culture occitane, qui l’intriguait beaucoup. Albini avait, dans le passé, travaillé avec un groupe punk hardcore international de premier plan, Les Thugs d’Angers, une des premières signatures de la compagnie de Seattle Sub Pop, un groupe qui a marqué le rock alternatif des années 90, Sloy, et aussi Dionysos, on les entendra tout à l’heure, tous les trois, dans cette émission que je souhaite consacrer, c’est la moindre des choses, à Steve Albini. Et dans laquelle je m’efforcerai de vous faire entendre, sentir, éprouver c’est là l’essentiel, tout ce que Steve Albini a apporté au son.

Albini était lui-même musicien, guitariste et chanteur, il a sévi, c’est un verbe que, je crois bien, il aurait apprécié, sous diverses identités et on l’entendra aussi. Mais enfin, la vie de Steve Albini a été consacrée à enregistrer les autres, beaucoup d’autres. «Jour après jour, disait-il, je me lève, j’enregistre, je vais me coucher, je me lève et j’enregistre». En plus de trente-cinq ans, Steve Albini aura enregistré pas loin, croyait-il, de trois mille groupes. Parmi eux, et on les entendra, évidemment, les Pixies à leurs débuts, vous venez de les entendre mais aussi Nirvana, je vous en reparlerai, et aussi l’excellent duo du Minnesota,Low, sans oublier Robert Plant et Jimmy Page en duo. Son honnêteté intransigeante, ses principes inflexibles, son éthique ont pu attirer à lui les musiciens les plus divers. Quand ceux-ci savaient ce qu’ils voulaient et qu’ils n’avaient pas froid aux yeux, travailler avec Albini représentait pour eux une excellente expérience. «La seule chose qui m’intéresse, disait Albini*, c’est travailler sur des disques qui reflètent avec honnêteté la perception qu’un groupe a de sa musique et de son existence. Si c’est le cas, alors je vais me défoncer et me casser le cul pour vous».* Alors, ça ne se passait pas forcément toujours bien parce que Albini n’aimait pas perdre son temps et ne mâchait pas ses mots. À propos des Pixies, il a pu dire que, je cite, c’était des veaux qui attendaient qu’on les tire par l’anneau qu’ils ont dans le nez. Ou de Nirvana, que c’était juste REM avec une Fuzzbox. Cela dit, il a gardé de très bons rapports avec Kim Deal, la bassiste des Pixies qui a vite fondé, parallèlement, son propre groupe en tant que chanteuse et guitariste, les Breeders. Au début de l’année 1990, Albini est parti pour Edimbourg, en Écosse, pour enregistrer le premier album des Breeders, Pod. Une de ses meilleures réalisations, de son propre avis. Je vous propose d’écouter «Doe» des Breeders, ça donne une impression saisissante de la façon dont Albini faisait vivre la musique qu’il enregistrait.

Pour en savoir plus, écoutez l'émission...

Playlist:

Pixies - «Cactus» album «Surfer Rosa (2007 Remaster)»

The Breeders - «Doe» album «Pod»

PJ Harvey - «Man-Size» album «Rid of Me»

Rapeman - «Steak and Black Onions» album «Two Nuns and a Pack Mule»

Shellac - «Crow» album «At Action Park»

The Jesus Lizard - «Mouth Breather» album «Goat (Remaster/ Reissue)

Helmet - «In the Meantime» album «Meantime»

Nirvana «Tourette’s - 2023 Remaster» album «In Utero (30th Anniversary Super Deluxe)»

Sloy - «Pop» album «Plug»

Les Thugs - «Allez les filles» album «Strike»

Dionysos - «McEnroe’s Poetry» album «Western sous la neige»

Low - «Like a Forest» album «Things We Lost in the Fire»